JEAN-CLAUDE JUNCKER SONNE L’ALARME ! par François Leclerc

Billet invité.

Les mises en garde contre ce qui est désormais appelé le contre-coup turc n’ont pas manqué devant l’ampleur des purges atteignant tous les milieux. Elles « dépassent la mesure », selon le ministre allemand des affaires étrangères Franck-Walter Steinmeier. Les autorités européennes faisaient jusqu’à maintenant le dos rond, n’évoquant au nom du respect de l’État de droit, que la perspective d’un gel des négociations à propos de l’entrée du pays dans l’Union européenne. On n’en est plus là.

Dans une déclaration au quotidien autrichien Kurier, Jean-Claude Juncker a rompu le silence qui jusqu’à maintenant prévalait. Il a qualifié « d’élevé » le risque d’une remise en cause de l’accord intervenu à propos des réfugiés, avec comme conséquence le débouclage de la frontière maritime turque. Si cela devait se produire, dit-il, « nous pouvons alors nous attendre à ce que les migrants recommencent à venir en Europe » (de fait, ils n’ont jamais cessé, notamment au départ de la Libye, mais aussi de la Turquie, à une échelle nettement plus réduite).

Réputé imprévisible et fort de son succès écrasant, le président turc n’accepte pas que sa conduite lui soit dictée et a éclaté  : « Certains nous donnent des conseils. Ils se disent inquiets. Mêlez-vous de vos affaires! » a-t-il explosé, accréditant que tout est possible.

Le président de la Commission ne s’est pas contenté d’évoquer cette perspective qui relancerait la crise des migrants à l’intérieur de l’Union européenne. Il s’est déclaré « très préoccupé » par les récents développements intervenus en Hongrie et en Pologne, au sein même de l’Union européenne. Pour Viktor Orban, le premier ministre hongrois, l’immigration est « un poison » à propos de laquelle il prépare un référendum. En Pologne, la Commission a donné trois mois à Varsovie pour revoir le fonctionnement de son tribunal constitutionnel, au nom du respect de l’Etat de droit.

Bruxelles se bat sur tous les fronts à la fois, la montée des courants xénophobes, racistes et souverainistes n’étant pas le moins important, qu’il est devenu l’usage de désigner dans les sphères du pouvoir sous le terme de « populisme », non sans dédain. L’ennemi est donc intérieur, rendant le contrôle des frontières illusoire, et les élites sont démunies devant lui, quand elles ne prennent pas la lourde responsabilité de reprendre les thèmes des campagnes de l’extrême-droite au prétexte de l’endiguer, et plus prosaïquement d’attirer ses électeurs.

La conjonction de la guerre menée en Syrie et en Irak, de la politique de déflation salariale et de la mise en cause de l’État providence accentue par ses effets une crise politique générale qui ne cesse de surprendre en mûrissant. Elle a pour origine une désaffection prononcée vis à vis de la classe politique ainsi que le rejet larvé de sa politique néo-libérale, qui a atteint en France une dimension caricaturale. Le sentiment prédomine que le monde financier bénéficie d’une totale impunité, tandis que sa connivence avec la classe politique est désormais établie. Beaucoup tirent la conclusion qu’un pouvoir fort est souhaitable, en application du contre-sens magistral que lui seul pourrait venir à bout du système dominant. Mais la force de cette vague est insuffisante pour qu’il émerge et s’impose à l’ancienne. Pourrait-il emprunter un autre chemin plus insidieux et lequel ?

Cette crise politique qui bouleverse les situations établies a acquis une telle inertie quel seul un changement radical pourrait en réduire les effets électoraux. Il n’est pas dans les tuyaux. Se contenter de lever le pied, comme cela vient d’être fait à propos de l’Espagne et du Portugal, ne réglera rien. Le mal est fait et profond.